mardi 23 octobre 2018

Mettre le corps en histoire.


Stéphane Claire (psychologue) et Jérémy Gateau (Educateur spécialisé) nous exposent  le projet théâtre qu’ils animent ensemble avec des enfants du groupe des Korrigans.

Stéphane : « Ce projet est centré sur le travail des émotions. D’où elles viennent, où elles se tapissent en nous, comment elles continuent à vivre et à nous agir, que nous le voulions ou pas. L’émotion est un axe de la préhension thérapeutique à privilégier. L’objectif, à terme, est que les enfants puissent mettre en avant leur propres émotions et les reconnaître. Pour constituer ce groupe, avec Jeremy, nous sommes partis d’indications assez précises.  Ce sont des enfants qui ont de l’histoire, qui ont vécus énormément de choses, qui ont ça en eux et ne peuvent l’admettre. Ils sont à fleur de peau. Ils sont écorchés. Il y a cette douleur qui ne cesse de les traverser, d’œuvrer en eux. Cette douleur, ce mal être, ils ne peuvent pas encore les reconnaître. Pour nous c’est un potentiel à exprimer, à expulser. Nous partons de ce principe qu’un événement, une situation traumatique peut être résorbée en partie à partir du moment où on est en capacité de la voir, de la localiser, de l’accepter comme étant à l’œuvre à travers nous depuis le symptôme dans un sens large.

Pour l’instant il y a beaucoup d’agitation lors des séances. C’est comme ça qu’ils expriment. Ils participent de là, de l’agitation. C’est un moment nécessaire. Il y a cette angoisse qui doit s’élancer, pouvoir se transformer en jeu pour pouvoir se partager. Ils se prennent au jeu. Nous commençons l’activité en échauffant le corps, la voix. Nous faisons ça dans la salle Fernand Cortez. Parce que le lieu importe. Il faut appréhender l’espace. Le corps doit aller dans son histoire et le lieu aide à cela, il faut un espace vaste, où l’on puisse bouger, circuler. Nous aussi nous sommes des vecteurs. Pour l’instant nous ne jouons pas, mais ce n’est pas exclu. Certainement nous le devrons à un moment donné et les accompagner depuis l’implication de notre propre corps pour les étayer.

Nous avons comme objectif, en utilisant les grandes émotions (Joie, colère, tristesse, peur) de les guider dans un aménagement de l’identification, de la verbalisation, de l’expression. Ces trois pôles sont pour l’instant abordés dans des situations anodines. Nous amenons du matériel, mais dans un second temps, nous leur proposerons d’amener le leur. D’écrire des scènes, décrire une histoire qu’ils joueraient et que nous pourrions filmer ou présenter aux familles. Apporter un bout de leur histoire pour le mettre en lien avec les autres pour le jouer ou le rejouer. Parce que les enfants ont ce coté extraverti, cette capacité à se mettre en scène et depuis cette capacité nous pouvons aller vers le soin. »

Jérémy : « L’idée de cet atelier part de la demande des enfants. Ils aiment se mettre en scène et jouer. Certains collègues animaient ce type d’atelier par le passé et je crois que les enfants en gardaient un bon souvenir et voulaient continuer ce genre d’expérience. Concrètement je veux qu’ils puissent se lâcher, qu’ils expriment ce qu’ils ressentent, leurs émotions. Je veux qu’ils aient un lieu où dire, où déposer, ce qu’ils vivent. Un lieu où dire ce qui est ressenti, mais dans un cadre pensé, réfléchi. Par exemple dans cet atelier on peut tout dire, mais pas n’importe comment. Il y a des contraintes qui pour moi sont essentielles au bon déroulement : c’est de proscrire les grossièretés et tout ce qui touche la sphère sexuelle. C’est pour cela que la présence de Stéphane est importante. Tout ce travail à partir des émotions et du vécu des enfants n’est pas simple. Il faut y joindre l’approche psychologique pour bien appréhender ce matériel qui peut être donné de manière directe par les enfants. Stéphane peut permettre un certain filtre, une distance, une analyse.


Nous en sommes aux premières séances. Nous commençons toujours par des échauffements sous forme d’improvisation autour d’une lettre de l’alphabet, puis des exercices sur les émotions. Ensuite nous leur demandons de jouer des scénettes lors desquelles ils ressortent les émotions  travaillées auparavant, en leur attribuant des rôles. Pour terminer, se détendre et s’apaiser, un peu de relaxation.

Ils sont super investis. Ils nous surprennent. Les voir jouer, s’emparer du matériel que nous leur donnons est une vraie source de joie et de plaisir. Un vrai spectacle. Au début nous pensions faire évoluer le groupe et les enfants qui y participent, mais après réflexion nous garderons toute l’année la même composition pour pousser le travail plus loin et puis il faut du temps pour faire tomber certaine défenses. Pour l’instant ce qu’ils jouent tourne beaucoup autour de leur vécu au sein de l’ITEP, mais nous voulons aller plus loin. Nous aimerions qu’ils s’ouvrent à la sphère extérieure, qui au final, est la plus intime de leur vie, donc la plus riche, la plus intéressante. C’est pour cela que nous voulons qu’ils inventent une histoire pour la jouer devant d’autres personnes, si c’est possible. Pour cette représentation ils feront tout, et ça en lien avec d’autres ateliers du groupe. La bande son et les bruitages avec l’atelier MAO de Mickael, les décors avec l’atelier plastique et la construction de mobilier avec l’atelier palette.

Prochainement nous aimerions aller au théâtre, leur faire voir une pièce. C’est important. Cela serait une manière de les amener à se projeter un peu et vivre en tant que spectateur ce qu’il en est du jeu et de la mise ne scène. »

Ce groupe devient donc un moyen de canaliser et de véhiculer leurs émotions, tout d’abord entre eux, mais aussi entre des fragments de leur vie intime et quotidienne, mais qui sont autant de scènes, ITEP, dortoirs, famille … en apparence éloignés, mais dont ils sont les acteurs principaux. 




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Maira Gall