Stéphane Claire (psychologue) et Jérémy Gateau (Educateur
spécialisé) nous exposent le projet
théâtre qu’ils animent ensemble avec des enfants du groupe des Korrigans.
Stéphane : « Ce
projet est centré sur le travail des émotions. D’où elles viennent, où elles se
tapissent en nous, comment elles continuent à vivre et à nous agir, que nous le
voulions ou pas. L’émotion est un axe de la préhension thérapeutique à
privilégier. L’objectif, à terme, est que les enfants puissent mettre en avant
leur propres émotions et les reconnaître. Pour constituer ce groupe, avec
Jeremy, nous sommes partis d’indications assez précises. Ce sont des enfants qui ont de l’histoire,
qui ont vécus énormément de choses, qui ont ça en eux et ne peuvent l’admettre.
Ils sont à fleur de peau. Ils sont écorchés. Il y a cette douleur qui ne cesse
de les traverser, d’œuvrer en eux. Cette douleur, ce mal être, ils ne peuvent
pas encore les reconnaître. Pour nous c’est un potentiel à exprimer, à
expulser. Nous partons de ce principe qu’un événement, une situation
traumatique peut être résorbée en partie à partir du moment où on est en
capacité de la voir, de la localiser, de l’accepter comme étant à l’œuvre à
travers nous depuis le symptôme dans un sens large.
Pour l’instant il y a beaucoup
d’agitation lors des séances. C’est comme ça qu’ils expriment. Ils participent
de là, de l’agitation. C’est un moment nécessaire. Il y a cette angoisse qui
doit s’élancer, pouvoir se transformer en jeu pour pouvoir se partager. Ils se prennent
au jeu. Nous commençons l’activité en échauffant le corps, la voix. Nous
faisons ça dans la salle Fernand Cortez. Parce que le lieu importe. Il faut
appréhender l’espace. Le corps doit aller dans son histoire et le lieu aide à
cela, il faut un espace vaste, où l’on puisse bouger, circuler. Nous aussi nous
sommes des vecteurs. Pour l’instant nous ne jouons pas, mais ce n’est pas
exclu. Certainement nous le devrons à un moment donné et les accompagner depuis
l’implication de notre propre corps pour les étayer.
Nous avons comme objectif, en
utilisant les grandes émotions (Joie, colère, tristesse, peur) de les guider
dans un aménagement de l’identification, de la verbalisation, de l’expression.
Ces trois pôles sont pour l’instant abordés dans des situations anodines. Nous
amenons du matériel, mais dans un second temps, nous leur proposerons d’amener
le leur. D’écrire des scènes, décrire une histoire qu’ils joueraient et que
nous pourrions filmer ou présenter aux familles. Apporter un bout de leur
histoire pour le mettre en lien avec les autres pour le jouer ou le rejouer.
Parce que les enfants ont ce coté extraverti, cette capacité à se mettre en
scène et depuis cette capacité nous pouvons aller vers le soin. »
Jérémy : « L’idée de cet atelier part
de la demande des enfants. Ils aiment se mettre en scène et jouer. Certains
collègues animaient ce type d’atelier par le passé et je crois que les enfants
en gardaient un bon souvenir et voulaient continuer ce genre d’expérience.
Concrètement je veux qu’ils puissent se lâcher, qu’ils expriment ce qu’ils
ressentent, leurs émotions. Je veux qu’ils aient un lieu où dire, où déposer,
ce qu’ils vivent. Un lieu où dire ce qui est ressenti, mais dans un cadre
pensé, réfléchi. Par exemple dans cet atelier on peut tout dire, mais pas
n’importe comment. Il y a des contraintes qui pour moi sont essentielles au bon
déroulement : c’est de proscrire les grossièretés et tout ce qui touche la
sphère sexuelle. C’est pour cela que la présence de Stéphane est importante.
Tout ce travail à partir des émotions et du vécu des enfants n’est pas simple.
Il faut y joindre l’approche psychologique pour bien appréhender ce matériel
qui peut être donné de manière directe par les enfants. Stéphane peut permettre
un certain filtre, une distance, une analyse.
Nous en sommes aux premières séances.
Nous commençons toujours par des échauffements sous forme d’improvisation
autour d’une lettre de l’alphabet, puis des exercices sur les émotions. Ensuite
nous leur demandons de jouer des scénettes lors desquelles ils ressortent les
émotions travaillées auparavant, en leur
attribuant des rôles. Pour terminer, se détendre et s’apaiser, un peu de
relaxation.
Ils sont super investis. Ils nous
surprennent. Les voir jouer, s’emparer du matériel que nous leur donnons est
une vraie source de joie et de plaisir. Un vrai spectacle. Au début nous
pensions faire évoluer le groupe et les enfants qui y participent, mais après
réflexion nous garderons toute l’année la même composition pour pousser le
travail plus loin et puis il faut du temps pour faire tomber certaine défenses.
Pour l’instant ce qu’ils jouent tourne beaucoup autour de leur vécu au sein de
l’ITEP, mais nous voulons aller plus loin. Nous aimerions qu’ils s’ouvrent à la
sphère extérieure, qui au final, est la plus intime de leur vie, donc la plus
riche, la plus intéressante. C’est pour cela que nous voulons qu’ils inventent
une histoire pour la jouer devant d’autres personnes, si c’est possible. Pour
cette représentation ils feront tout, et ça en lien avec d’autres ateliers du
groupe. La bande son et les bruitages avec l’atelier MAO de Mickael, les décors
avec l’atelier plastique et la construction de mobilier avec l’atelier palette.
Prochainement nous aimerions
aller au théâtre, leur faire voir une pièce. C’est important. Cela serait une manière
de les amener à se projeter un peu et vivre en tant que spectateur ce qu’il en
est du jeu et de la mise ne scène. »
Ce groupe devient donc un moyen
de canaliser et de véhiculer leurs émotions, tout d’abord entre eux, mais aussi
entre des fragments de leur vie intime et quotidienne, mais qui sont autant de
scènes, ITEP, dortoirs, famille … en apparence éloignés, mais dont ils sont les
acteurs principaux.